D’emblée, il faut dire que lorsque j’ai accepté l’offre d’écrire un article dans le journal l’Unité, j’ai d’abord été tenté de refuser considérant l’énormité de la tâche. En effet, vaste projet que celui de sonder la signification de la création de l’UQAM dans l’imaginaire politique québécois! La question est tellement riche et intéressante qu’elle devrait plutôt être le sujet d’un mémoire voire d’une thèse en histoire ou en sociologie! Quoi qu’il en soit, j’ai pris le parie de rédiger, à la place d’un véritable article scientifique, quelques pistes de réflexion pour le ou la chercheur-e qui voudra s’y intéresser plus en détail.
Mythe fondateur
La mise sur pied de l’UQAM fait parties des mythes fondateurs du Québec moderne. Si on tourne les coins ronds et qu’on étire la durée de la Révolution tranquille, on peut y inclure la création du réseau UQ en décembre 1968 qui n’est rien de moins que la prolongation du rapport Parent au niveau universitaire.
Au milieu des années 1960, les nouveaux cégépiens choisissent en grands nombres les programmes préuniversitaires au grand dam du ministère qui voulait plutôt les orienter vers les techniques. Les étudiants craignent alors de ne pouvoir poursuivre leurs études pour cause de manque de place à l’Université de Montréal. Parler de la création de l’UQAM, c’est parler d’une lutte étudiante et sociale pour la création d’une deuxième université francophone à Montréal.
Il faut dire cependant que le projet existe déjà depuis quelques années. En effet, les Jésuites proposent en 1960 de fusionner deux institutions qu’ils dirigent, soit les collèges Ste-Marie et Jean-de-Brébeuf pour créer l’Université Ste-Marie. Le sociologue préside aussi un comité qui suggère en 65 une 2e université à ouvrir au plus tard en 1968 et dont le nom pourrait être : Louis-Jolliet ou Louis-Joseph Papineau.
Le retour au pouvoir de l’Union National en 1966 avec Daniel Johnson à sa tête remet en cause la Révolution tranquille et le projet de la 2e université francophone. Pour contrer cette tendance, la chambre de commerce organise un colloque à ce sujet en septembre 1967. La grève d’octobre 1968 doit aussi être considérée dans la lutte de pouvoir malgré que l’on puisse douter de son véritable poids politique considérant sa désarticulation discursive son manque d’organisation.
En ce sens, le sociologue Jean-Philippe Warren suggère que les hauts fonctionnaires se sont alors appuyés sur la grève étudiante pour mettre de la pression sur le conseil des ministres en vue de faire adopter le projet de loi. C’est en effet en décembre 1968 que le gouvernement adopte le bill 88 qui crée l’Université du Québec. Sa composante montréalaise, l’UQAM, est issue d’une fusion de collèges et écoles préuniversitaires.
Centre-ville
Le choix d’établir l’UQAM au centre-ville n’est pas dû au hasard. En effet, après avoir rejeté quelques propositions qui entrevoyaient entre autres de construire l’UQAM sur l’île Notre-Dame, les acteurs de l’éducation au Québec se sont mobilisés pour que l’on privilégie l’ancien Quartier Latin (siège de l’UdeM avant les années 1940), soit l’axe St-Denis et Ste-Catherine.
S’installer au centre-ville marque aussi une volonté de rompre avec l’image élitiste de l’Université. Le faubourg à m’lasse ayant historiquement été un quartier populaire, la deuxième université francophone de Montréal devait se rapprocher de cette classe sociale. Symboliquement et géostratégiquement, être au centre-ville permet aussi une meilleure accessibilité physique et contribue à lutte pour la francisation du centre-ville.
Qui n’a jamais entendu l’expression « l’Université du peuple » pour décrire l’UQAM? Elle apparaît très rapidement, car, en effet, une partie substantielle de ses étudiants sont issus de familles n’ayant aucune tradition universitaire. Aujourd’hui, on peu encore s’étonner du fait que plus de 40 % des étudiants de l’UQAM sont les premiers de leur famille immédiate à fréquenter un établissement universitaire.
L’UQAM est aussi l’Université dont les étudiants ont le plus recours au programme de prêts et bourses du gouvernement. Conséquemment, ils sont les plus endettés.
Épicentre de contestation
À partir de ces caractéristiques particulières, il s’est développé à l’UQAM un mouvement étudiant traditionnellement fort et combatif. Le mouvement étudiant à l’UQAM s’est distingué du mouvement universitaire à plusieurs reprises. Alors que les universitaires quittaient l’ANEQ en 1981, l’AGEUQAM en demeure le fer de lance. Alors que les cégeps se mobilisent contre le sommet du Québec et de la jeunesse, l’AGEsshalcUQAM est la seule association universitaire à voter une grève d’appui de solidarité à la contestation. Elle est la première association étudiante universitaire à quitter la FEUQ et à dénoncer son corporatisme. En 2005, ce sont les associations uqamiennes qui permettent d’atteindre rapidement un nombre critique de mandats de grève pour déclencher la mobilisation générale, etc.
Le militantisme politique fait partie de la tradition et de la culture uqamienne, à tel enseigne que le service des communications de l’UQAM l’intègre, au début de la décennie, au nouveau slogan de l’UQAM : Prenez position. Elle écrit sur son site internet : « La signature Prenez position cristallise la volonté de l’UQAM de former non seulement des citoyens capables d’œuvrer avec compétence et originalité dans des domaines très diversifiés, mais aussi des personnes engagées dans leur milieu. » (1)
Le retour de Claude Corbo au rectorat en 2007 semble marquer une volonté de réviser cette image institutionnelle. En effet, la nouvelle UQAM doit cacher toute image reliée à l’activisme politique. La nouvelle campagne médiatique, l’effet UQAM, ne souligne plus la volonté de former des citoyens engagés, mais met plutôt l’accent sur les résultats de recherche des professeurs et leur effet bénéfique sur la société. On ne peut pas être contre la vertu, mais on peut tout de même se demander s’il est plus important de former des citoyens engagés ou d’exposer sur la place publique des professeurs connus. Nous aurons tous compris que, en matière de lutte interuniversitaire pour les subventions, l’une est plus payante que l’autre…
Finalement, il y a aussi lieu de s’inquiéter que lors de la récente consultation sur le nouveau plan stratégique, la version de travail rédigée par la direction a retiré le mot accessible et francophone de la définition originale de la mission de l’UQAM…
Alexandre Leduc
(1) http://www.uqam.ca/entrevues/entrevue.php ?id=484