Extrait du site du SPUQ en grève, du 12 avril, par Laurence-Léa Fontaine, professeure en sciences juridiques.
Pour accéder au site : http://spuqengreve.wordpress.com/
LE DROIT DE NÉGOCIER COLLECTIVEMENT LES CONDITIONS DE TRAVAIL MIS EN PRATIQUE: VULGARISATION DU CODE DU TRAVAIL
1944. L’affirmation expresse du droit à la négociation collective.
Après quelques reconnaissances implicites au début du XXe siècle, c’est la Loi des relations ouvrières (S.R.Q. 1941, c. 162 A) qui reconnaît expressément le droit à la négociation collective. Cet ancêtre de l’actuel Code du travail est adopté en 1944 dans le contexte de la Seconde guerre mondiale, marqué par une industrialisation rapide du pays, par l’émergence à grande échelle du travail des femmes, par les progrès fulgurants de la syndicalisation et par la présence de luttes ouvrières très dures qui paralysent à l’occasion la production de guerre. Cette loi directement inspirée du Wagner Act américain affiche deux grands objectifs: la promotion de la paix industrielle par la réduction des conflits de travail; le rétablissement de l’égalité de principe entre le pouvoir de négociation des employeurs et celui des ouvriers. Concrètement, la Loi des relations ouvrières garantit la liberté d’association syndicale, prévoit une procédure pour l’accréditation des syndicats, impose le monopole de la représentation syndicale (un seul porte-parole syndical par groupe de travailleurs) et l’obligation de négocier collectivement. Les imperfections du dispositif légal de 1944 sont indéniables (ex. procédure de traitement des griefs, droit de grève en tout temps, compétence de la Commission des relations ouvrières). Déconsidérée par l’utilisation faite par le régime duplessiste, la Loi des relations ouvrières est mise au rancart.
1964. La codification du droit de la négociation collective.
Le gouvernement Lesage adopte le Code du travail (S.Q. 1964, c. 45 – S.R.Q. 1964, c. 141) dont l’effet le plus spectaculaire est d’accorder le droit de grève à l’ensemble des salariés des secteurs public et parapublic, droit qui avait toujours été refusé à ces employés. Le Code introduit aussi d’autres changements très importants (par ex. sanction des pratiques antisyndicales, précision de la procédure d’accréditation, modification des conditions d’acquisition du droit de grève). Modifié à de nombreuses reprises, l’actuel Code du travail garantit notamment la démocratie syndicale (en matière d’élection des dirigeants, de vote de grève et d’adoption de la convention collective: art. 20.1 et suivants), le droit à la négociation collective, c’est-à-dire le droit à la négociation des meilleures conditions de travail possibles et la signature de la convention collective, de même que l’exercice du droit de grève.
2007-2009. Les aspects techniques de la négociation collective: illustration avec le cas UQAM
L’accréditation. La première étape de la mise en branle du processus de négociation collective consiste en l’accréditation des associations de salariés. En effet, la simple qualité «d’association de salariés» — même constituée légalement — ne suffit pas pour être apte à représenter les salariés. L’association de salariés doit être accréditée à cet effet par la Commission des relations du travail et devenir ainsi une « association accréditée ». Cette procédure encadrée par le Code du travail (art. 21 et suivants du Code du travail) consiste en un acte de la puissance publique, qui attribue un monopole de représentation à une organisation syndicale à l’égard de tous les membres d’une unité de négociation, à la condition que cette organisation démontre qu’elle bénéficie du caractère représentatif à l’égard des salariés concernés (soit la majorité desdits salariés).
Au sein de l’UQAM, il existe plusieurs associations de salariés accréditées, chacune d’entre elles représente légalement une catégorie de salariés. Ainsi, le Syndicat des employées et employés de l’Université du Québec à Montréal (SEUQAM), section locale 1294 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), représente le personnel de soutien; le Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM (affilié au Conseil central des syndicats nationaux de Montréal, à la CSN et à la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ)) représente les chargéEs de cours; le Syndicat des professeures et des professeurs de la Télé-université (SPPTU) représente les professeurEs de la Téluq; le Syndicat des Étudiant-e-s Employé-e-s (SÉtuE) représente les étudiants employés de l’UQAM; le Syndicat des professeurs et professeures de l’Université du Québec (SPUQ) (affilié à la Confédération des syndicats nationaux (CSN) depuis sa fondation et à la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) depuis 1992) représente les professeurEs depuis 1971 et les maîtres de langue depuis 1998. Comme le montre le cas du SPUQ, il est possible pour un syndicat de représenter plusieurs catégories de salariés. Ainsi, le SPUQ représente les professeurEs d’une part et les maîtres de langue d’autre part, et mène de front deux négociations en vue de la conclusion de deux conventions collectives applicables à chacune de ces catégories de salariés.
Le projet de convention collective. Le projet syndical est élaboré par le syndicat accrédité. Ce projet de renouvellement de la convention collective des professeurEs de l’UQAM a vu le jour après plusieurs consultations tant des différentes assemblées départementales que du Conseil syndical (composé de l’ensemble des délégués syndicaux, chaque département nommant un certain nombre de ces délégués en son sein). Le projet syndical de convention collective est ensuite approuvé en assemblée générale (composée de l’ensemble des membres professeurEs du SPUQ). Celui des professeurEs a été finalisé en avril 2007 (soit un mois avant la date d’échéance de la dernière convention collective). Cet exercice a également eu lieu pour le renouvellement de la convention collective des maîtres de langue (qui elle échouait le 31 mai 2008, après une prolongation d’une année à la demande de la partie patronale). Le projet de convention collective des maîtres de langue a été déposé par le SPUQ en mai 2008.
Le Comité de négociation collective. Pour les professeurEs, cette instance est composée d’un représentant de chaque faculté. Le rôle du comité est de défendre le projet syndical approuvé par l’ensemble des membres du syndicat accrédité. Les membres du comité sont choisis pour leur connaissance des règles de négociation collective et du Code du travail, leur connaissance parfaite du projet syndical et/ou leur expérience de négociateur. Les membres du comité de négociation collective des professeurEs sont Normand Baillargeon, Jean Bélanger (porte-parole), Laurence-Léa Fontaine, Mario Houde, Louis Martin, Pierre Lebuis et Guy Villeneuve. Pour les maîtres de langue, le comité de négociation est composé de André Breton (porte-parole), Malika Ech-Chadli, Marie-Cécile Guillot et Carey Nelson. Alain Brouillard, conseiller CSN, accompagne et conseille les comités. Chaque comité de négociation de la partie syndicale fait face au comité de négociation de la partie patronale. Les comités de négociation sont relativement autonomes dans la défense de leur projet respectif, puisqu’ils sont mandatés par l’Assemblée générale (des professeurEs ou des maîtres de langue). Toutefois, le comité exécutif du SPUQ est en lien étroit avec chaque comité et impulse la ligne de conduite politique décidée par les Assemblées générales.
Le début de la négociation. La phase de négociation collective débute avec l’envoi d’un avis par l’une des parties (soit par l’employeur, soit par le syndicat accrédité) à la partie adverse (art. 52 et suivants du Code du travail). Cette étape a été effectuée dans les règles de l’art tant pour l’unité des professeurEs que pour celle des maîtres de langue. L’avis de négociation a deux fonctions principales: il rend exécutoire l’obligation de négocier de bonne foi (art. 53 du Code du travail) et permet aux parties d’exercer, éventuellement, des moyens de pression (art. 58 du Code du travail).
La négociation collective des conditions de travail. Concrètement, la négociation débute avec le dépôt du projet syndical de convention collective auprès de la partie patronale. Généralement, le porte-parole syndical du comité de négociation présente les grands enjeux de la négociation collective en cours, passe en revue l’ensemble des articles du projet de convention collective et explique les demandes d’amélioration de ce contrat collectif de travail. Traditionnellement, les discussions se concentrent d’abord sur les clauses normatives (c’est-à-dire sur les clauses sans conséquences financières), puis sur les clauses monétaires (c’est-à-dire les clauses avec conséquences financières). Le comité de négociation reçoit les commentaires de la partie patronale. La négociation collective consiste en une interaction entre deux parties recherchant un terrain d’entente mutuellement acceptable, dans un contexte où les conceptions de départ de la solution idéale sont opposées ou très différentes. Pour les professeurEs, la grande majorité des clauses normatives a été passée en revue et a fait l’objet d’une entente de principe (c’est-à-dire la reconnaissance par les deux parties de l’arrivée à un terrain d’entente; lequel devra ultérieurement être soumis pour vote à l’Assemblée générale des membres du syndicat accrédité). Il en va différemment pour les clauses monétaires dont la discussion a sans cesse été retardée par la partie patronale pour divers motifs (voir Flash-Négo 13 disponible sur http://spuqengreve.wordpress.com/ sous le titre «SPUQ: Petite histoire des négociations»). Pour les maîtres de langue, le processus a pris du retard — plus exactement a été ralenti par la partie patronale — (voir: http://spuqengreve.wordpress.com/2009/03/31/maitres-de-langue-rapport-detape-des-negociations/).
La négociation diligente et de bonne foi. La négociation collective doit se faire avec diligence et bonne foi (art. 53 du Code du travail). En d’autres termes, chaque partie doit faire l’effort de rencontrer la partie adverse, d’entamer des négociations collectives de bonne foi et de réaliser des efforts raisonnables pour conclure une convention collective. Ainsi, il est permis de négocier de manière ferme en autant que les demandes soient objectivement raisonnables. À ce titre, les demandes du SPUQ tant pour les professeurEs que pour les maîtres de langue sont raisonnables et l’attitude de la partie syndicale est des plus conformes aux règles édictées par le Code du travail. À noter que l’auteur d’une violation de l’obligation de négocier de bonne foi est passible d’une amende de 100$ à 1 000$ pour chaque jour ou fraction de jour que dure l’infraction (art. 141 du Code du travail), voire d’une amende de 100$ à 500$ et de 1 000$ à 5 000$ pour chaque récidive (art. 144 du Code du travail). Un recours de nature civile est également possible (destiné à contraindre telle partie à respecter l’obligation de négocier de bonne foi). À ce sujet, je laisse chacun d’entre vous juger de la situation.
Le vote sur les offres patronales. La partie patronale peut exiger la tenue d’un vote à bulletin secret sur ses dernières offres (art. 58.2 du Code du travail), et ce, afin de favoriser la conclusion d’une convention collective.
Le recours à des tiers. Il est possible de recourir à des tiers lorsque la situation semble se bloquer (conciliateur, médiateur, arbitre). Toutefois, trop souvent la situation échappe dans ces cas aux parties.
L’exercice de moyens de pression. En cas de blocage de la situation, les parties peuvent choisir de recourir à l’exercice d’un moyen de pression: la grève pour la partie syndicale et le lock-out pour la partie patronale (art. 105 et suivants du Code du travail). La grève est une cessation concertée du travail par un groupe de salariés (art. 1 g) du Code du travail). La décision de faire grève incombe à l’Assemblée générale des membres du syndicat accrédité qui se prononce lors d’un scrutin secret. Le SPUQ a déclenché plusieurs journées de grève au cours des dernières semaines tant pour les professeurEs que pour les maîtres de langue. Le lock-out consiste en le refus pour l’employeur de fournir du travail à ses salariés en vue de les contraindre à accepter certaines conditions de travail (art. 1 h) du Code du travail). Qu’il s’agisse de la suspension du contrat de travail du fait de la grève ou du fait du lock-out, le salarié est dégagé de l’obligation de fournir sa prestation de travail et l’employeur n’a plus à verser le salaire correspondant.
Mémoire. La négociation collective a fait progresser les conditions de travail. Ainsi, au Québec, l’histoire des relations du travail démontre que les négociations syndicales ont souvent des répercussions juridiques. Ainsi, la grève des travailleurs du secteur automobile de 1947 a permis d’établir le principe de la reconnaissance syndicale (communément appelé «formule Rand»). De même, l’assurance médicale a vu le jour au sein d’ententes syndicales avant d’être offerte à l’échelle nationale, les régimes de retraite ayant précédé le régime universel et les mesures adoptées contre la discrimination, ayant précédé les mesures législatives en matière de droits humains.
L’UQAM. Les demandes syndicales des professeurEs et des maîtres de langue sont loin d’être corporatistes. Au contraire, il est d’abord et avant tout question de la mission de l’université qu’il faut protéger et réaffirmer. Bien sûr les membres de la communauté espèrent une valorisation de leurs conditions de travail consistant en un rattrapage par rapport à celles de leurs collègues des autres universités québécoises. Mais pour l’essentiel, il est question d’accroître le corps professoral, soit d’obtenir de meilleures conditions d’enseignement et d’apprentissage.
Dans le cadre de la négociation collective de leurs conditions de travail, les professeurEs et maîtres de langue de l’UQAM — comme leurs collègues, chargéEs de cours, personnel de soutien et étudiants-employés — défendent une université urbaine, populaire et démocratique.
Au-delà de nos conditions de travail, nous défendons l’UQAM !