L’exclusion des travailleuses domestiques: Une longue lutte contre la discrimination et les préjugés

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Auteur :

Christiane Gadoury, UTTAM

Depuis de nombreuses années, plusieurs organisations, dont l’Union des travailleurs et des travailleuses accidentés de Montréal, dénoncent le fait que les travailleuses domestiques soient exclues de la définition de travailleur dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) et, par conséquent, ne puissent bénéficier automatiquement de sa protection. Au fil du temps, de plus en plus de voix se sont ajoutées afin de dénoncer cette situation inacceptable. Ainsi, depuis maintenant plus d’un an, le gouvernement, ne pouvant nier l’évidence, promet de corriger cette injustice incessamment. Mais toujours rien…

Pourquoi y a-t-il tant de résistance? Pourquoi y a-t-il de si longs délais? Voici l’histoire d’une longue lutte.

L’origine du problème

Lors de l’adoption de la loi, en 1985, trois catégories de travailleurs étaient exclues: les domestiques, les gardiennes et les sportifs professionnels. Lorsque l’on regarde attentivement ces exclusions, on se rend compte que, mis à part les sportifs professionnels, les autres exclusions réfèrent à une seule catégorie de personnes : des personnes, majoritairement des femmes, qui exécutent un travail domestique et/ou prennent soin d’autres personnes dans une maison privée.

En 2005, quelques organisations conscientes que cette situation inacceptable perdurerait tant qu’on ne s’y attaquerait pas de front, formaient une coalition afin d’obliger le gouvernement à agir. La coalition « La CSST pour les travailleurs et les travailleuses domestiques » recevait, dès sa création, l’appui de près de 80 organisations syndicales, populaires et féministes. Mais la CSST et le ministère du Travailne bougeaient toujours pas. La Coalition s’est donc adressée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).

L’avis de la CDPDJ, un pas majeur pour mettre fin à l’exclusion

En réponse à la demande de la Coalition, la CDPDJ rendait public, en décembre 2008, un avis qui concluait au caractère triplement discriminatoire de l’exclusion des domestiques et des gardiennes de la protection offerte par la LATMP. L’avis indiquait que cette exclusion contrevient à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne et, en conséquence, demandait au ministre du Travail d’abroger cette exclusion.

Une discrimination fondée sur le sexe, la condition sociale et la race ou l’origine ethnique

La CDPDJ en venait à la conclusion que l’exclusion des travailleuses domestiques est directement liée aux tâches qu’elles accomplissent et au fait qu’elles accomplissent ces tâches pour un particulier. Ces tâches seraient associées au « rôle naturel » dévolu aux femmes et, de ce fait, ne représenteraient pas un véritable travail. La CDPDJ concluait donc qu’en excluant les domestiques de la LATMP, le législateur contribue à perpétuer les stéréotypes et les préjugés basés sur les rôles traditionnels des femmes et qu’il s’agit d’une exclusion discriminatoire fondée sur le sexe.

En seconde analyse, la CDPDJ se demandait si les travailleuses domestiques appartiennent à un groupe socialement identifiable que l’on traite différemment en raison de cette appartenance. Elle concluait qu’en plus d’être majoritairement des femmes, les domestiques exécutent un travail qui est généralement sous rémunéré et dont on sous-évalue les compétences requises. La dévalorisation du travail de domestique est en bonne partie liée à la nature de leur emploi « typiquement féminin » mais aussi au rang social inférieur attribué à leur travail.

La CDPDJ en arrivait donc à la conclusion que l’exclusion des domestiques dans la LATMP constitue une discrimination fondée sur la condition sociale. Finalement, parmi les travailleuses domestiques, on retrouve une très forte représentation de travailleuses provenant des Philippines et certaines études démontrent que près des 2/3 des effectifs des agences privées de services d’aide à domicile sont des personnes noires.

Bien que le motif de la discrimination enfonction de l’origine ethnique ou de la race ne s’applique pas à l’ensemble des travailleuses domestiques, la CDPDJ jugeait qu’il s’applique à une bonne proportion d’entre-elles qui, au surplus, sont les plus vulnérables. Elle en concluait que l’exclusion des domestiques dans la LATMP peut constituer une discrimination fondée sur l’origine ethnique ou la race.

Avec la parution de cet avis, en décembre 2008, le ministre du Travail ne pouvait plus fermer les yeux et se boucher les oreilles : il savait que, s’il n’agissait pas, il perpétuerait une triple discrimination.

L’inaction du gouvernement

Malgré l’avis de la CDPDJ et malgré la tenue d’une conférence de presse le 22 février 2009 au cours de laquelle la Coalition « La CSST pour les travailleuses et les travailleurs domestiques » demandait expressément au ministre du Travail de réviser sa position, de cesser d’utiliser des moyens dilatoires et de corriger immédiatement l’injustice causée par l’exclusion des travailleuses domestiques de la LATMP, le ministre du Travail ne bougeait toujours pas.

Puis en avril 2009, en plus de continuer à faire la sourde oreille, le ministre du Travail ajoutait l’insulte à l’injure. Il déposait le projet de loi 35, visant à corriger plusieurs « irritants » à la LATMP et à la Loi sur la santé et sécurité du travail (LSST), mais n’intervenant aucunement à propos de l’exclusion des travailleuses domestiques. Cette situation discriminatoire n’était même pas considérée comme un « irritant »!

Le ministre du Travail venait finalement de montrer son vrai visage… En choisissant de maintenir le statut quo sur cette question, il perpétuait sciemment une situation d’injustice et de discrimination. Pendant la même période, un jugement de la Cour supérieure invalidait les lois 7 et 8 en invoquant sensiblement les mêmes motifs que la CDPDJ dans son avis à propos de l’exclusion des travailleuses domestiques dans la LATMP.

Ces deux lois interdisaient aux familles d’accueil et aux responsables de garderies en milieu familial de se syndiquer. Pour répondre à ce jugement, le gouvernement déposait les projets de loi 49 et 51 visant à instaurer le régime de négociation collective pour les « ressources intermédiaires » et pour les « responsables de service de garde en milieu familial ». Ces lois, nous disait-on, visaient à assurer que les travailleuses en question bénéficient dorénavant d’une protection sociale. Dans la réalité, elles excluaient ces personnes de la LSST et donc du droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite (RPTEA).

Pire encore, le projet de loi 49 créait, pour les « ressources intermédiaires », exactement le même type d’exclusion que pour les travailleuses domestiques. Finalement, ces projets de loi donnaient la possibilité pour la CSST de créer, par voie réglementaire, un nouveau régime de retrait préventif pour ces travailleuses.

Dans un tel contexte, l’uttam décidait de lancer une campagne afin de faire modifier le projet de loi 35 et de sonner l’alarme à propos de la situation « d’apartheid social » qui semblait se dessiner. En quelques jours, plus de 110 organisations syndicales, populaires et féministes ont écrit au ministre du Travail pour lui demander d’amender son projet de loi. Malgré cela, le ministre du Travail décidait encore de faire la soude oreille et réussissait à faire adopter son projet de loi sans modifications majeures et sans corriger cette situation discriminatoire.

Une absence de volonté politique suspecte

Lors des débats ayant mené à l’adoption du projet de loi 35, le ministre du Travail s’était tout de même engagé à remédier rapidement à la situation d’exclusion des travailleuses domestiques, à trouver une solution juste et équitable pour ces travailleuses et à ainsi mettre un terme à la discrimination à l’automne 2009. Un nouveau ministre du Travail ayant été nommé, monsieur Sam Hamad, une rencontre avec la Coalition eut lieu le 30 novembre 2009.

À cette occasion, le ministre a clairement indiqué qu’il n’était pas question de reconnaître l’ensemble des travailleuses domestiques et qu’il se soumettait à la proposition de la CSST à l’effet de s’inspirer du modèle de l’Ontario, modèle qui n’offre pas une couverture à l’ensemble des travailleuses domestiques. Le ministre a même posé un ultimatum à la Coalition, lui demandant de participer au choix des travailleuses qui continueraient à être discriminées, à défaut de quoi il n’y aurait pas de modification législative.

Cette invitation du ministre a évidemment été refusée par la Coalition. Depuis maintenant cinq ans, les ministres du Travail qui se sont succédés ont tous été fermés à l’idée de mettre un terme à cette situation pourtant jugée triplement discriminatoire par une institution publique chargée de veiller au respect des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne. Cela incite fortement à penser que le gouvernement actuel est lui-même porteur des stéréotypes et préjugés dénoncés par la CDPDJ.

Les justifications du ministère du Travail

Lors des quelques rencontres que les ministres du Travail successifs ont consenti à accorder à la Coalition, les principaux arguments amenés pour justifier cette exclusion ont été plutôt techniques et le souci n’a jamais semblé être la santé et la sécurité des travailleuses mais plutôt la « praticabilité » de leur inclusion.

À titre d’exemple, ils ont invoqué :
– que les domestiques travaillent pour des particuliers et qu’il serait difficile de répertorier ces particuliers pour les faire cotiser;
– qu’on ne veut pas transformer ces « pauvres particuliers » en employeurs devant se soumettre
à de la paperasserie administrative;
– que, dans bien des cas, les domestiques ne travaillent pas à temps plein ou qu’elles travaillent pour plusieurs employeurs à la fois, ce qui complexifie les choses et pourrait même être inéquitable car on pourrait devoir indemniser des personnes qui ne travaillent que quelques heures;
– que les domestiques travaillent dans une maison privée et non dans un établissement, et conséquemment, leur employeur ne serait pas un vrai employeur puisqu’il ne possède pas d’établissement.

Article intégral dans la version électronique du journal de l’UTTAM, printemps 2010 via le site du syndicat industriel des travailleurs et travailleuses.

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