Par Annabelle Berthiaume, militante du CUTE-UQAM
On entend souvent dire que l’obtention d’un contrat d’auxiliaire de recherche ou d’enseignement constitue un privilège. En le concevant comme tel, plusieurs d’entre nous acceptons de travailler davantage que le nombre d’heures payées, de faire des tâches supplémentaires à celles prévues au contrat ou d’omettre certaines heures de travail de peur de ne pas avoir avancé assez vite. On renforce ainsi une idée qui sert bien nos profs et directions de recherche: puisque le renouvellement d’un contrat est un “privilège”, on accepte la précarité qui vient avec.
Pourtant, une partie du travail d’auxiliaire de recherche et d’enseignement commence avant l’embauche. Lorsqu’on corrige des copies d’examen, par exemple, il faut avoir suivi tel ou tel cours, avoir de l’expérience dans le domaine ou démontrer une connaissance des éléments de contenu du cours. Les contrats d’auxiliaires de recherche demandent aussi des connaissances pointues sur un sujet en particulier. Et lorsqu’on n’est pas expert–e–s du sujet, on nous engage pour notre savoir-faire en collecte de données, en codification, en création de fiche-synthèse, etc. Ces connaissances et ces savoir-faire s’acquièrent tout au long de notre formation – qui débute bien avant les études universitaires.
“Ça fonctionne, parce qu’on travaille!”
Comme le dit le slogan du SÉTUE: “à l’UQAM, ça fonctionne parce qu’on travaille!”. Mais, ce ne sont pas seulement les auxiliaires de recherche et d’enseignement, le personnel de soutien et le corps enseignant qui travaillent; les étudiant–e–s sont aussi actif–ve–s dans leur propre éducation! C’est pourquoi, même s’il est impératif de continuer à se battre pour la gratuité scolaire, le mouvement étudiant et les organisations étudiantes ne peuvent pas se contenter d’exiger un accès à l’éducation sans remettre en question les rapports d’exploitation en son sein.
Depuis maintenant deux ans, les militant–e–s des Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE) s’activent à faire reconnaître le travail de formation, invisible mais incontournable, qui s’accomplit avant l’accès au marché du travail. Autrement dit, on revendique un salaire et des conditions de travail convenables pour l’ensemble des étudiant–e–s à tous les niveaux d’études. Dans les programmes dits professionnalisant ou techniques, ce travail est d’autant plus apparent; la plupart des cours traitent directement de l’exercice du métier. En travail social par exemple, on passe en revue les différentes populations avec lesquelles nous sommes susceptibles de travailler (travail avec les groupes, personnes âgées, communautés, femmes, etc.). On y apprend aussi le langage technocratique des principales institutions qui nous engageront (les organigrammes, les structures, les formulaires, etc.), le jargon couramment utilisé pour désigner les personnes que nous rencontrerons ou les situations que ces personnes vivent (les diagnostics courants, les plans d’interventions, etc.).
Mais avant tout, notre passage à l’école est un entraînement à l’exploitation. Dans les programmes où les femmes ont été et sont toujours plus nombreuses, cette préparation signifie bien souvent des stages non-rémunérés. En effet, en travail social, en sexologie, en soins infirmiers, en communication, et en éducation, on ne compte plus les heures travaillées non-rémunérées. En échange de crédits académiques, les stagiaires travaillent de façon invisible, sans droit de regard sur la nature des tâches, les conditions ou l’environnement de travail. Les tâches effectuées en stage sont les mêmes, en tout ou en partie, que celles qui s’accumulent une fois sur le marché du travail, créant alors une surcharge de travail et des heures supplémentaires – comme nous l’ont rappelé plusieurs travailleuses du milieu de la santé et des services sociaux au printemps dernier. Dès la formation, on apprend aux étudiant-e–s la dévalorisation de leur travail en refusant de leur donner un salaire. On renforce ainsi une culture du “don de soi” ou encore on valorise “l’expérience pour l’expérience” comme forme de rétribution. Plus encore, on valorise un culte de la performance qui met à mal la santé psychologique de nombreux et nombreuses stagiaires et étudiant–e–s durant les cycles supérieurs1.
Un salaire pour les stagiaires!
C’est donc à la fois pour attaquer cette dévalorisation constante du travail des femmes mais aussi pour reconnaître la part de travail des étudiant–e–s durant leur formation que continuera de s’organiser la campagne en faveur de la rémunération de tous les stages cette année. Cette grève offensive vise donc à reprendre un peu plus ce qui nous est dû : du temps de travail qui nous est extorqué au profit des organisations, que ce soit dans le public, le privé ou dans les OSBL, qui roulent à coup de stagiaires sans salaire. Bien sûr, la rémunération de tous les stages n’est pas une fin en soi. Mais elle est un premier pas pour identifier l’injustice sur laquelle se fonde l’exploitation des étudiant–e–s, parmi lesquel–le–s on retrouve davantage de femmes, de personnes immigrantes et racisées ainsi que de parents étudiant-e-s. Cette revendication permet de reconnaître une part du travail effectué par les étudiant–e–s qui profite autant aux employeurs qu’aux établissements scolaires, et de nous libérer du temps.
Ainsi, des étudiant–e–s de Sherbrooke, Gatineau, Rimouski, Chicoutimi, Québec, Moncton et Montréal joignent leurs voix aux appels internationaux à la grève des stagiaires et des femmes à travers différentes actions de mobilisation. Cette année, peu importe le parti élu, plusieurs d’entre eux et elles se préparent pour une grève générale étudiante à l’hiver 2019 qui, cette fois-ci, inclura les stages. Les associations étudiantes et les syndicats comme le SÉTUE sont invités à s’impliquer dans ce débrayage, que ce soit en adoptant des grèves de solidarité, en participant aux activités de mobilisation ou en s’impliquant activement au sein des coalitions régionales pour la rémunération des stages.
Le 21 novembre prochain, plusieurs comités et associations étudiantes impliqués dans la campagne pour la rémunération des stages tiendront une journée de grève étudiante. Cette journée servira à lancer au nouveau gouvernement un ultimatum pour l’instauration d’un programme universel de rémunération des stages, en opposition à la mise en place d’une compensation négociée à la pièce, comme cela a été privilégié pour l’internat en psychologie et pour le stage final en enseignement. Cette lutte offre, d’une part, la possibilité de briser la frontière imaginaire entre les études et le travail, qui sert surtout à flouer le statut et les droits des étudiant–e-s, employé–e-s ou non. D’autre part, elle évite de laisser les plus précaires de côté. Si l’argument en faveur de la rémunération des futur–e–s enseignant–e–s est celui de la reconnaissance du travail des femmes, pourquoi celui-ci ne s’appliquerait-il pas aux éducatrices à la petite enfance ou aux infirmières?
Pour plus d’infos: https://www.facebook.com/campagnetravailetudiant/
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1 À l’Université McGill, par exemple, c’est presque un–e étudiant–e sur trois (30 %) qui souffre d’anxiété, de dépression ou de stress sévère. (Dubreuil, É., 26 avril 2018, «Nous sommes une génération analphabète sur le plan émotif : le mal-être ravage les campus », Ici Radio-Canada,
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1097158/etudiants-universites-colleges-mcgill-udem-aide-psychologique-anxiete-depression-stress). Dans une chronique d’Aurélie Lanctôt, on dit qu’un–e doctorant–e sur deux vit un ou des épisodes dépressifs durant sa formation (16 juin 2018, « L’université fait naufrage (2) », Le Devoir, https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/530469/l-universite-fait-naufrage-2).