Par Éric Martin
Chercheur en éducation à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) et membre du Collectif d’analyse politique (CAP)
La plus récente étude de la CREPUQ appelle à régler d’urgence un «sous-financement» chiffré à 620 M$ en haussant les frais de scolarité à la moyenne canadienne. L’utilisation du terme «sous-financement» est trompeuse, et la méthodologie employée, pour le moins discutable. La priorité de la CREPUQ ne semble pas tant de régler des problèmes budgétaires dans les universités que de présenter un argumentaire de légitimation économique pour donner à la hausse des droits de scolarité, une politique sociale régressive, des airs d’inéluctabilité.
Problème de méthodologie
La méthodologie employée ne part pas d’une analyse des besoins objectifs des universités, de problèmes budgétaires identifiés ou d’un réexamen visant une utilisation rationnelle des ressources. L’étude procède plutôt à une comparaison adaptative avec le reste du Canada. Ainsi, lorsque la CREPUQ parle de «sous-financement», elle n’analyse pas les besoins objectifs des universités pour constater ensuite un manque de moyens. Elle mesure plutôt «l’écart existant entre les ressources financières dont disposent les universités québécoises en comparaison avec celles des universités des autres provinces».
L’étude ne révèle pas ce dont manquent les universités, mais uniquement ce qu’elles obtiendraient en ressources additionnelles si le Québec se conformait au Canada et haussait ses droits de scolarité. Il serait donc plus exact de parler de «manque à gagner», illustrant les ressources que dégagerait une hausse des droits de scolarité adaptative. Encore faudrait-il montrer qu’il est nécessaire de dégager ces ressources, de même qu’évaluer les conséquences socio-économiques d’une hausse des frais de scolarité, ce qui exigerait d’aller au-delà de ce type de projection simpliste.
Les universités doivent démontrer qu’elles manquent objectivement de ressources. Or, au Québec, les revenus totaux des universités sont passés de 2,4 G$ en 1997 à 4,1 G$ en 2005, soit une hausse de 71%. De plus, la CREPUQ oblitère délibérément dans son étude les fonds et dépenses directs et indirects liés à la recherche subventionnée.
Or, comme le révèle la plus récente étude de l’IRIS sur la gouvernance des universités, l’un des principaux mécanismes de «l’économie du savoir» est de sous-traiter la recherche développement coûteuse pour laquelle les entreprises ne veulent pas débourser aux universités et de détourner des ressources à cette fin. Le Québec accorde déjà une part plus importante de ses budgets (27%) que les autres provinces (22%) à la recherche subventionnée.
Les États ont eu tendance à réduire leur participation aux budgets de fonctionnement des universités. Par contre, les subventions de recherche fédérales ont doublé en dix ans, dépassant le cap du milliard. Il y ainsi à l’oeuvre un processus de réallocation des ressources publiques vers la recherche instrumentale à visée appliquée et commerciale, ce qui fait de plus en plus de l’enseignement le parent pauvre.
Risque de désengagement…
Puisque de plus en plus de ressources sont dirigées vers les fonds avec restrictions et la recherche subventionnée, les universités cherchent à refinancer l’enseignement délaissé à partir des frais individuels, sans égard à l’endettement que cela entrainera. Or, cela ne peut conduire à terme qu’à un processus de substitution: les hausses de frais de scolarité accélèreront le désengagement de l’État dans les budgets de fonctionnement généraux, cependant que certains départements précis liés aux sciences et technologies jouiront de fonds de recherches croissants.
Or, plutôt que de faire un réexamen de l’allocation des ressources existantes et du «malfinancement» résultant, on propose de faire tarifer davantage les individus, sans égard à la hausse de l’endettement que cela impliquera nécessairement: «En 2009, le montant moyen de la dette d’études des étudiants inscrits en dernière année au baccalauréat ayant contracté une dette s’établissait à 15 102$ au Québec comparativement à 25 778$ en Ontario et à 26 680$ pour la moyenne des étudiants canadiens, toutes dettes confondues». En Nouvelle-Écosse, cela atteint jusqu’à 30 000$.
Le prétendu «sous-financement» recouvre en fait une volonté des universités de donner à la hausse des frais de scolarité, une politique pourtant régressive, des airs d’acceptabilité sociale et d’inéluctabilité économique. Au final, ce n’est pas les hausses de frais de scolarité qui serviraient à combler un sous-financement, mais le discours sur le sous-financement qui sert à légitimer une hausse des frais, laquelle va de pair avec un processus de reconversion commerciale de l’université en vue de la recherche-développement appliquée dans l’économie du savoir. Il faudrait se garder de parle de sous-financement, et, surtout, avant de hausser les frais de scolarité, poser la question des impacts socio-économiques d’une telle mesure, et, celle, plus fondamentale de ce quoi devenir l’université québécoise : une université commercialisée et chèrement tarifée produisant des produits «intellectuels» rentables, où un service public accessible et voué à la transmission de la culture et à la formation de gens capables de vivre ensemble avec les problèmes du siècle ?
Article tiré du site des Nouveaux Cahiers du socialisme.