Le Devoir : Relations troubles entre scientifiques et compagnies pharmaceutiques

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Un nouveau scandale impliquant l’industrie pharmaceutique a fait les manchettes de plusieurs journaux anglophones ces derniers jours. Ce scandale, qui a de forts retentissements à Montréal puisqu’il vise une chercheuse de l’Université McGill, en dit long sur les pratiques douteuses des compagnies pharmaceutiques et les relations troubles qu’elles entretiennent avec les scientifiques travaillant en recherche biomédicale.

La poursuite intentée par les victimes de l’anti-inflammatoire Vioxx contre le géant pharmaceutique Merck’s avait déjà permis de lever le voile sur une pratique éthiquement douteuse employée par les compagnies pharmaceutiques pour mousser les bienfaits de leurs produits: le «ghostwriting», ou l’usage de prête-noms. Cette fois, celle intentée contre Wyeth par 8 400 femmes, qui accusent la compagnie d’avoir passé sous silence les risques associés à l’hormonothérapie de remplacement — prescrite pour contrer les effets secondaires de la ménopause –, souligne l’ampleur de cette pratique, qui mine grandement la crédibilité des publications scientifiques et qui, de ce fait, risque de mettre en péril la santé des patients.

Pour vanter les bienfaits de leurs médicaments, les compagnies pharmaceutiques enfreignent allègrement les règles éthiques encadrant la publication scientifique, relate dans un article Sergio Sismondo, professeur de philosophie à l’Université Queen’s à Kingston en Ontario. Elles analysent elles-mêmes les résultats d’essais cliniques obtenus par des firmes de recherche qu’elles ont mandatées et payées. Elles font ensuite appel à des auteurs fantômes, espèces de «nègres» qui rédigent les manuscrits d’articles. Puis, elles demandent à des chercheurs universitaires reconnus de revoir ces manuscrits et d’en signer la version définitive afin d’accroître leurs chances de voir leurs articles acceptés pour publication dans des revues scientifiques prestigieuses.

The Gazette révélait plus tôt cette semaine qu’une chercheuse du département de psychologie de l’Université McGill, Barbara Sherwin, s’était prêtée à cette pratique en signant un article qui, en vérité, avait été rédigé par un auteur pigiste de DesignWrite, une entreprise de rédacteurs professionnels du New Jersey recrutée par la compagnie pharmaceutique Wyeth pour produire des articles scientifiques présentant ses médicaments sous un jour favorable.

Renommée pour ses travaux sur les mécanismes par lesquels les hormones influencent la mémoire et l’humeur chez l’humain, Barbara Sherwin a pourtant endossé seule la paternité de l’article paru dans le Journal of the American Geriatrics Society en avril 2000, article montrant que l’administration d’oestrogène pouvait aider à freiner les pertes de mémoire chez les personnes âgées. C’est un avocat de Cleveland, qui représente les 8 400 femmes poursuivant Wyeth, qui a découvert l’écart de conduite de Mme Sherwin. Les avocats oeuvrant dans cette cause ont appris à ce jour que DesignWrite a contribué à la rédaction de 26 articles publiés dans 18 revues médicales réputées, telles que The American Journal of Obstetrics and Gynecology et The International Journal of Cardiology.

Dans un communiqué émis le week-end dernier, la chercheuse affirme avoir «écrit une portion de l’article, mais non son intégralité, bien que seul son nom apparaisse comme auteur». Elle avoue avoir «fait une erreur», mais déclare que celle-ci est unique. Pour sa défense, elle écrit que «l’article a été révisé par des pairs, qu’il est sérieux et approfondi, et que d’aucune façon il ne peut être interprété comme une promotion pour un produit particulier ou une compagnie.»

Selon Yves Gingras, titulaire d’une chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences à l’UQAM, le cas de Barbara Shewin ne représente que la pointe de l’iceberg du phénomène. «Mme Sherwin est l’incarnation locale d’un phénomène mondial», affirme-t-il avant de préciser qu’il est très difficile pour les revues scientifiques découvrir ces infractions aux codes éthiques. «Les pairs qui révisent les manuscrits qui ont été soumis aux revues scientifiques ont pour mission de vérifier qu’ils ne contiennent pas d’erreurs scientifiques. Mais les chercheurs ne sont pas des policiers. Ils ne peuvent pas savoir si celui qui signe un article est bien la personne qui l’a écrit», dit-il.

Le sociologue mentionne également le fait que les compagnies pharmaceutiques qui subventionnent maintes recherches cliniques sur leurs médicaments refusent souvent qu’on publie les résultats de ces études quand ceux-ci s’avèrent négatifs. «Le fait que les résultats négatifs soient rarement publiés fausse les méta-analyses, qui compilent les résultats de toutes les études portant sur un même médicament», et donc induit en erreur les médecins qui lisent ces études.

À ce sujet, le sociologue rappelle le gros scandale qu’a provoqué la chercheuse Nancy Olivieri, une hématologue de Toronto, qui, en dépit du silence que lui imposait le géant pharmaceutique Apotex qui avait subventionné ses études cliniques, a publié les résultats de celles-ci alors qu’ils montraient que le deferiprone, un médicament destiné au traitement de la thalassémie, était nocif pour le foie. «Dans cette histoire, l’institution universitaire où elle travaillait a pris la défense de la compagnie qui s’était engagée à faire un don au fonds de dotation de l’institution. Les universités ne sont jamais là pour défendre les chercheurs, elles ne pensent qu’à obtenir plus d’argent», lance-t-il.

Si l’Université McGill fait enquête sur les exactions de Barbara Sherwin, comme l’a affirmé par voie de communiqué à The Gazette le vice-principal exécutif, Anthony C. Masi, — ce dernier n’ayant pas répondu à notre appel –, «il faudra lui demander combien d’argent Mme Sherwin a reçu pour signer l’article en question, car il est évident qu’elle a été payée», fait remarquer Yves Gingras.

Consultez l’article intégral de Pauline Gravel de l’édition du 26 août 2009 du Devoir.

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