Le Devoir : Libre opinion – Droits de scolarité modulés: un bénéfice pour qui?

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Les universités québécoises traversent en ce moment une période difficile sur le plan budgétaire, et de multiples propositions se font entendre pour leur venir en aide. Une d’entre elles, défendue entre autres par le président du Conseil du patronat, des économistes en vue et certains dirigeants d’universités, est de leur permettre de moduler leurs droits de scolarité pour augmenter leurs revenus.

Cette modulation, théoriquement, pourrait se faire sur la base de différents critères (durée des études, revenu personnel ou revenu des parents, résultats scolaires, etc.). Ce que l’on défend davantage pour le moment est une modulation qui tiendrait compte soit des coûts réels de la formation (la contribution de l’étudiant devrait être proportionnelle à ce que son programme coûte), soit du revenu sur le marché du travail une fois la formation achevée (revenu prévu). Ces deux idées peuvent bien être séduisantes, elles reposent toutefois soit sur une simplification de la réalité, soit sur l’incapacité de plus en plus courante de comprendre l’enjeu d’un système d’éducation universitaire accessible.

L’argument de l’accessibilité aux études postsecondaires est probablement le plus simple à expliquer. L’éducation demeurant un puissant vecteur d’égalité, il importe d’examiner les options offertes aux plus défavorisés de la société. Sur ce point, les deux formes de modulation proposées plus haut échouent au test sur toute la ligne. L’expérience montre que la modulation des droits de scolarité dans des programmes comme le droit, la médecine ou l’administration a un impact direct sur le taux de participation des étudiants provenant de milieux défavorisés (les plus favorisés, au contraire, adorent et ils en redemandent!)

En fait, ils disparaissent de la carte, et assez rapidement. Une modulation équivalente du système des prêts et bourses ne change rien à ce constat. Notre système de prêts et bourses, comme tous les systèmes exigeant un contrôle préalable des ressources, demeure un obstacle administratif pour les jeunes des milieux défavorisés. Le bonifier pour certains domaines d’études ne contribue pas à changer la préoccupation de l’endettement des jeunes de milieux défavorisés qui n’ont pas autour d’eux de modèles d’universitaires accomplis, comme c’est le cas des fils et filles à papa.

N’est-il pas injuste, se demande-t-on en outre, d’avoir une politique de tarification identique alors que, dans les faits, il existe des disparités énormes entre les coûts de formation d’un sociologue et d’un médecin, sans parler des revenus que l’un et l’autre peuvent attendre un jour de leur formation? Pas vraiment. Notre système fiscal permet de récupérer les investissements en matière d’éducation, mais aussi toutes les autres formes de «dons privés» ou «d’investissement social», volontaires ou non, dont tirent profit nos concitoyens tout au long de leur existence. Il le fait de plus en respectant leur choix de vie et leur liberté personnelle de vouloir s’enrichir ou non.

Il n’est pas vrai que tous les médecins et les avocats seront riches un jour. Il existe encore aujourd’hui parmi ces professionnels des individus qui ont d’autres valeurs que l’enrichissement personnel et qui choisiront, par exemple, d’être avocat pour une organisation sans but lucratif, de travailler pour le contentieux d’un ministère ou encore d’être un médecin rattaché à un programme de santé publique. Il est hasardeux de préjuger à l’avance des revenus futurs des diplômés.

Cela nourrit bêtement l’élitisme de certaines professions et crée une pression supplémentaire sur les salaires puisque des finissants plus endettés qu’aujourd’hui à la fin de leurs études rechercheront inévitablement un meilleur retour sur leur investissement. S’il y a une chose dont nous pouvons socialement nous passer, c’est d’une accessibilité à des services de santé ou des services juridiques encore plus restreinte qu’aujourd’hui, et ce, à cause de l’insatiabilité grandissante des professionnels qui y oeuvrent!

De plus, les formations les plus coûteuses se situent généralement dans le domaine des sciences, du génie et des sciences de la santé, où l’on manque d’étudiants. Faire payer une proportion plus grande aux étudiants dans ces domaines nous causerait collectivement plus d’ennuis que d’avantages. Cela est d’autant plus vrai qu’il est plutôt incertain que l’État reconduira en totalité sa contribution aux universités dans les circonstances où il leur permet de toucher de nouveaux revenus.

La force de l’argumentation en faveur de la modulation des doits de scolarité vient à mon avis de simplifications dans les exemples utilisés (toujours les mêmes) et du désir de certaines universités de pouvoir vendre sur leur marché respectif certains programmes plus lucratifs ou même carrément élitistes. C’est le cas de l’Université McGill qui aimerait, facturer 30 000 $ pour son MBA. Cela a très peu à voir avec l’enjeu de la qualité de la formation. Un MBA est une formation qui coûte relativement peu cher à offrir, mais pour laquelle il existe un marché de positionnement important surtout quand, paradoxalement, le prix est élevé. Ce que McGill recherche en ce moment, c’est la possibilité d’offrir un produit sur de nouveaux marchés afin d’améliorer son positionnement international puisque toutes les grandes universités du monde offrent en ce moment des produits de luxe du genre.

Il existe une lecture tout individualiste de l’éducation qui conduit à la considérer comme un bien individuel, un service que le citoyen devrait pouvoir payer en bonne partie puisqu’il en est le premier bénéficiaire. Je ne rejette pas cette interprétation économique des choses, mais encore faut-il la subordonner à une vision plus large: ce bien qu’est l’éducation, nous devons aussi nous assurer qu’il soit le mieux réparti possible et je ne vois aucunement comment la modulation des droits de scolarité pourrait être plus efficace que le système actuel pour rendre ce bien encore plus accessible, notamment pour ceux et celles, et ils sont encore très nombreux, qui restent encore aujourd’hui à l’écart de notre système d’éducation universitaire.

S’il faut absolument augmenter les droits des universités québécoises, il existe des façons de le faire plus simples et plus équitables pour l’ensemble des universités que la modulation par programme.

François Blais – Professeur au département de science politique de l’Université Laval

Consultez l’article intégral de l’édition du 22 février 2010 du Devoir.

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