Par Stéphan Corriveau, adjoint de recherche et étudiant à la maitrise en droit social
Bien que plusieurs d’entre nous l’ignorent, il est souvent possible d’étudier, de travailler et de recevoir des prestations du programme d’assurance-emploi simultanément.
Toute l’information nécessaire pour savoir comment et à quelles conditions on peut répondre aux exigences de l’assurance-emploi afin d’obtenir des prestations est disponible à différents endroits, dont le Mouvement Action Chômage de Montréal ou le Comité chômage de l’Est de Montréal.
Ce qui nous intéresse ici, c’est la réforme de l’assurance-emploi que le gouvernement Harper est en train d’imposer aux travailleurs et travailleuses et les impacts de cette réforme sur notre convention collective avec l’UQAM.
15 heures par semaine, un mensonge et un problème
Contrairement à ce que plusieurs superviseurEs affirment lors des négociations pour les contrats, notre convention n’impose pas une limite de 15h/semaine de travail. En effet, l’article 7.01 indique qu’il s’agit d’une « moyenne maximale », rien n’empêche de faire 45h une semaine sur trois. L’interprétation acceptée de l’article 7.01 est que nous ne pouvons pas, durant les sessions d’automne et d’hiver cumuler plus de 225 heures par session (15h x 15 semaines). Laissons de côté la limite totale de 225h/session, qui fait l’objet de débats et de recherches au sein du SÉTuE, pour se concentrer sur la limite du 15 heures qui, elle, est clairement problématique. D’abord, parce qu’elle ne reflète pas la réalité. Les contrats de correction par exemple sont généralement réalisés en deux ou trois périodes de pointe pendant lesquelles les semaines de travail sont bien plus proches de 40h que de 15h, c’est aussi le cas des contrats associés à l’organisation d’un événement comme un colloque ou une conférence.
Cette mauvaise interprétation de la convention a des conséquences sérieuses sur le montant des prestations d’assurance-emploi auxquelles nos heures de travail devraient nous donner droit quand le contrat se termine. Puisque le montant des prestations d’assurance-emploi est calculé sur les semaines de travail où nous avons eu les meilleurs gains. En répartissant le salaire sur 15 semaines au lieu de les concentrer sur six semaines, le montant des prestations peut littéralement être divisé par deux.
50% de pertes, minimum
Cette situation est aggravée avec l’un des aspects les moins connus de la réforme. Ce que le gouvernement fédéral a poétiquement baptisé « projet pilote 18 », change les règles de calcul des revenus de travail qu’une personne sur l’assurance-chômage peut recevoir en même temps que ses prestations. Présenté comme une amélioration par la ministre Finley, ce changement sera généralement néfaste pour les salariéEs à statut précaire comme celles et ceux membres du SÉTuE.
Avec le projet pilote no 18, l’assurance-emploi réduit vos prestations de 50% de la valeur des gains de travail dès le premier dollar gagné, et ce, jusqu’à ce que vous ayez gagné 90% de votre rémunération assurable hebdomadaire de référence et 100% des sommes qui dépassent cette première tranche de 90%. Voici un exemple clair de ce que ce charabia signifie :
Le printemps et l’été dernier, Jeannette a travaillé 22 semaines à 400$ par semaine. Elle obtient des prestations d’assurance chômage qui représentent 55% de son revenu de travail, donc 220$ par semaine pour 16 semaines (note 1) , pour un total potentiel de prestations de 3 520$. À l’automne, elle décroche un contrat de correctrice de 15h/semaine à 20,29$/h soit 304$/semaine, pour un total de 4 565$ en échange de 225h de travail. Jeannette à donc un potentiel de revenu total (chômage + travail) de 8 085$.
Mais comme son contrat stipule qu’elle travaille 15h/semaine, son chèque de chômage sera réduit de 152$ à chaque semaine pour les 15 semaines de la session. Cela représente 2 280$ de perte pour Jeannette. Elle recevra au total 5 805$ sur 16 semaines (15 semaines de salaire avec des prestations réduites + une semaine de prestation complète).
Maintenant, si Jeannette pouvait faire comptabiliser ses heures comme six semaines à 37,5h/semaine (donc toujours 225 heures de travail), cela lui fera six semaines à 761$ mais elle ne perdra pas 1$ de prestations d’assurance-chômage! Où est l’attrape ? Puisque Jeannette aura gagné suffisamment d’argent les semaines où elle travaille, elle ne recevra pas d’assurance-emploi, mais elle ne perd pas cet argent car ces semaines de prestations seront reportées (note 2) , donc elle recevra ses 16 semaines de prestations et six semaines de salaire (pour un grand total de 8080$) étalées sur un total de 22 semaines.
En fait, si elle est payée pour 15h/semaine, Jeannette aura travaillé 225h pour un salaire total de 2 280$ soit à peine plus que le salaire minimum.
Une formule avantageuse à court et à moyen terme
En concentrant ses heures, non seulement Jeannette aura davantage d’argent dans ses poches cette session et en aura plus longtemps. De plus, elle se positionne pour avoir de meilleures prestations lors de sa prochaine demande puisque les gains hebdomadaires des semaines où elle travaille seront de 761$ au lieu de 304$/semaine. Ce qui fait que, si elle est en mesure de conserver ce niveau de rémunération pour un nombre suffisant de semaines pour se qualifier à nouveau, elle recevra des prestations de 418$/semaine au lieu de 167$/semaine dans sa prochaine période de prestation. Recevoir 251$/semaine de plus par semaine, c’est une différence significative!
Un changement qui s’impose
Comme cette petite démonstration en fait la preuve, la limite de 15h/semaine qu’exigent souvent les superviseurEs est nettement désavantageuse pour nous et nous savons tous que dans bien des cas, elle ne représente pas la réalité, sans compter le fait que ce n’est pas une exigence imposée par la convention.
Il est temps que l’administration de l’UQAM informe correctement les gestionnaires de nos contrats (profs, directrices, directeurs, et autre responsables qui nous embauchent) pour que nous n’ayons plus à nous battre individuellement pour le respect de la convention et de nos droits. Dans l’éventualité où un contrat ne représentant pas la réalité vous est imposé et que cela s’avère désavantageux, vous avez des recours, il faut les utiliser.
Les petits caractères très importants
• La Loi de l’assurance-emploi est relativement complexe et pleine de pièges conçus pour y faire tomber un maximum de gens (et leur retirer leur droit aux prestations). Avant de faire un choix ou de prendre une décision dans vos démarches avec l’assurance-emploi, assurez-vous d’avoir toute l’information pertinente en main. Chaque cas est distinct, vous ne pouvez pas vous fiez à l’exemple cité ici comme s’appliquant nécessairement à vous tel quel. N’hésitez pas à consulter le groupe de défense de droit des sans-emploi le plus près de chez vous pour obtenir une information utile et pertinente. La liste des groupes membres du MASSE est disponible à lemasse.org.
• Pour en savoir plus sur la résistance à la réforme, vous pouvez consulter la page facebook de la coalition syndicale et populaire contre la réforme : www.facebook.com/saccage.assurance.chomage. Et pour en savoir plus sur la réforme en général, vous pouvez participer au colloque sur la question qui aura lieu le 3 mai à l’UQAM, toutes les infos sur juris.uqam.ca/jdst.
Notes
- Le nombre d’heures nécessaires et la durée des prestations varient en fonction du taux de chômage au moment et au lieu où elle dépose sa demande, les chiffres retenus ici sont représentatifs de la situation à Montréal en février 2013.
- La règle de l’assurance-emploi veut qu’un prestataire ait le droit de recevoir un nombre fixe de semaines de prestations (16 dans le cas de Jeannette) déterminé au moment du dépôt de sa demande. Si les gains de travail hebdomadaire de Jeannette pendant sa période de prestations font en sorte qu’elle a droit de recevoir aussi peu que 1$ de l’assurance-emploi cette semaine-là, il s’agit aux yeux de l’assurance-emploi, d’« une semaine de prestation ». Si son salaire est suffisamment élevé pour qu’elle ne reçoive rien de l’assurance-emploi une semaine, celle-ci n’est pas comptabilisée comme une « semaine de prestation » et Jeannette est autorisée à recevoir cette « semaine de prestation » plus tard, au cours d’une semaine où elle ne travaillera pas