Par Mélissa Guillemette.
Au Canada, le «groupe de 100» a touché en moyenne 6,6 millions en 2009, une légère baisse qui ne sera que temporaire, selon des analystes.
Les patrons se sont bien tirés de la récession. Au pire de la crise économique, la rémunération des chefs d’entreprise inscrites en Bourse a légèrement diminué: les 100 dirigeants canadiens les mieux payés ont gagné en moyenne 6,6 millions de dollars au cours de 2009.
Les plus grands patrons ont ainsi empoché 155 fois le salaire moyen des travailleurs (43 000 $), selon l’étude du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) publiée hier.
En 2008, la moyenne des revenus totaux du groupe «des 100» se situait à 7,3 millions. La baisse enregistrée l’année suivante est toutefois minime, selon l’auteur du rapport, Hugh Mackenzie, joint hier à Toronto. «En 2008, les chefs d’entreprise avaient gagné le salaire annuel moyen des Canadiens à l’heure du dîner le premier jour de travail de janvier. En 2009, ce sera atteint à 14h30 en après-midi. En termes d’argent, ça a l’air important, mais en réalité, c’est très peu.» Dans le titre de son étude, le groupe de gauche dit des patrons qu’ils sont «à l’épreuve de la récession».
Loin de marquer un changement de cap face au mécontentement que suscite chez plusieurs la rémunération des dirigeants, la baisse des salaires est temporaire, selon M. Mackenzie. Il prévoit qu’en 2010, on assistera de nouveau à un renversement de vapeur et à une hausse de la rémunération. Un retour à la norme qui prévaut depuis les années 1990.
Même son de cloche du côté de l’historien spécialiste de la syndicalisation et de l’évolution des salaires des travailleurs, Jacques Rouillard. Les baisses de revenu qu’ont connues les dirigeants d’entreprises ne sont, selon lui, que de petites variations dues à la crise économique qui s’effaceront rapidement. «C’est indécent, car le salaire des travailleurs, lui, n’a pas augmenté depuis 30 ans, malgré la hausse de la productivité et des richesses.» Il prescrit une bonne mobilisation des syndicats et de la population pour «rétrécir cet écart […] qui engendre les inégalités sociales».
Tout comme le CCPA, M. Rouillard croit qu’une révision des niveaux d’imposition pour les bonus et les options d’achat d’actions est une piste de solution. «Le gouvernement doit mettre ses culottes, surtout qu’il manque d’argent.» Ses détracteurs diront toutefois que les salaires imposants sont nécessaires pour attirer les personnes compétentes dans les entreprises qui veulent demeurer compétitives par rapport au marché international.
Les chiffres dévoilés hier sont peut-être même sous-estimés, dit M. Mackenzie. La rémunération des dirigeants liée aux actions est calculée différemment depuis 2008, moment où le calcul a été standardisé, ce qui ne permet pas de comparer les données d’avant 2008 à celles des années suivantes. Désormais, la valeur des actions est estimée. C’est ce qui expliquerait qu’au cours de 2007, les 100 dirigeants les mieux payés avaient révélé avoir empoché en moyenne 10, 4 millions, un montant peut-être plus près de la réalité. «La méthodologie utilisée aujourd’hui donne selon moi des estimations plutôt conservatrices», affirme le chercheur. À titre d’exemple, le CCPA calcule que les actions sont sous-évaluées de 5,1 millions par dirigeant dans cinq grandes banques au Canada.
Le patron qui gagne la palme du palmarès est le chef de la direction de la minière Barrick Gold, Aaron Regent, avec 24,4 millions en salaire, bonus, pension et options d’achat d’actions, selon les calculs du CCPA. Le premier Québécois de la liste est Jeffrey Orr, de Power Financial Corporation, qui a encaissé près de 11 millions et se place ainsi en 13e position. Pierre Beaudoin, de Bombardier (9,2 millions, 22e), figure toujours sur la liste, tout comme Pierre Karl Péladeau, de Quebecor (8,5 millions, 27e), Louis Vachon, de la Banque Nationale du Canada (6,1 millions, 46e) et Paul Desmarais fils, de Power Corporation (3,4 millions, 91e).
Au total, un peu plus d’une quinzaine de Québécois sont de ce groupe «sélect». «Les travailleurs peuvent se demander si cette quinzaine leur impose de se serrer la ceinture ou jugent leurs demandes salariales trop élevées», estime Jacques Rouillard.
Les salaires des hauts dirigeants attirent de plus en plus l’attention de la population et des politiciens, constate Hugh Mackenzie. Il croit qu’à long terme, un équilibre se rétablira, alors qu’il n’y a pas si longtemps, en 1995, les 50 chefs les mieux payés empochaient 85 fois le salaire du travailleur moyen. «Ce genre de changement prend du temps», dit-il.
Retrouvez l’article original publié le 4 janvier sur le site du Devoir.