QUÉBEC – Comme il fallait s’y attendre, les syndiqués du Journal de Québec ont demandé à leurs avocats de porter en appel le récent jugement du juge Marc Saint-Pierre de la Cour supérieure qui a invalidé celui de la commissaire du travail Myriam Bédard. Celle-ci avait conclu que Le Journal de Québec avait eu recours à des scabs pour publier son journal alors que ses journalistes avaient été mis en lock-out.
Selon le président du syndicat de la rédaction du Journal de Québec (SCFP-FTQ), cette décision de porter en appel ce jugement va beaucoup plus loin que de défendre le seul intérêt de ses membres. « On le fait non seulement pour nous, mais pour tous les travailleurs syndiqués du Québec », fait remarquer Denis Bolduc.
Le 12 décembre 2008, la commissaire Myriam Bédard avait donné raison aux syndiqués en jugeant que Le Journal de Québec avait contrevenu à l’article 109 du Code du travail qui interdit des travailleurs de remplacement durant un conflit de travail. Elle avait en outre identifié onze personnes qui avaient participé à cette contravention de la loi.
Le directeur de l’information de l’époque, Donald Charrette, était celui qui coordonnait ce travail de remplacement interdit, précisait la commissaire.
Dans son jugement, Myriam Bédard avait fait une interprétation élargie de la notion d’établissement de la loi anti-briseur de grève, indiquant qu’une personne œuvrant à l’extérieur des lieux physiques d’une entreprise pouvait être considérée comme un scab si elle fait le travail d’un syndiqué en grève ou en lock-out.
Jugement invalidé
Le Journal de Québec et les onze présumés scabs avaient porté ce jugement en appel devant la Cour supérieure. Le 11 septembre dernier, le juge Marc Saint-Pierre invalidait le jugement de première instance, considérant déraisonnable l’interprétation de la commissaire Bédard sur la notion d’établissement.
Selon lui, la loi anti-briseur de grève doit être interprétée de façon restrictive : seules les personnes ayant fait du travail de remplacement à l’intérieur de l’établissement physique pourraient être considérées comme des contrevenants.
Selon le président du syndicat Denis Bolduc, cette interprétation « briques et pierres » du juge Saint-Pierre revient à émasculer la loi anti-scab, à toutes fins pratiques.
« Cela signifie en 2009, avec toutes les nouvelles technologies disponibles, qu’un nombre incalculable d’entreprises québécoises sont en mesure d’échapper aux dispositions de cette loi adoptée en 1977, ce n’est pas anodin du tout, dit-il. La notion d’établissement est au cœur des dispositions anti-scab qui ont pacifié énormément les conflits de travail au Québec. »
Celui-ci n’est pas le seul à faire cette réflexion. La présidente de la CSN annonce déjà que sa centrale syndicale sera « partie prenante » dans cette cause qui touche des droits fondamentaux des travailleurs.
« En faisant une interprétation au pied de la lettre de la loi anti-scab, ce jugement vient considérablement l’affaiblir en refusant de tenir compte des nouvelles réalités technologiques. Pour nous, c’est tout simplement inacceptable », dit Claudette Carbonneau.
Rappelons que les 253 syndiqués du Journal de Montréal, mis en lock-out le 24 janvier dernier par Quebecor, sont affiliés à la CSN. Le syndicat a porté en appel un autre jugement impliquant l’utilisation de scabs présumés dans leur conflit.
Tout comme Denis Bolduc, Claudette Carbonneau estime que l’interprétation élargie des dispositions de la loi faite par la commissaire Myriam Bédard « est la vision bien fondée de voir les choses ». Interrogée si la solution n’est pas plutôt politique, c’est-à-dire de réformer la loi en fonction des réalités d’aujourd’hui, la présidente de la CSN se fait cette fois plus hésitante.
« Je vais attendre un peu avant de poser un geste en ce sens. Rouvrir la loi pourrait s’avérer dangereux car les pressions patronales pourraient alors aller vers le bas, ce que nous ne pouvons nous permettre. »
Au cabinet du nouveau ministre du Travail Sam Hamad, on indique « suivre de très près » ce dossier judiciaire. « Nous n’avons pas de commentaires à faire pour le moment et nous allons laisser la justice suivre son cours », a commenté son attaché de presse Alexandre Boucher.
Consultez l’article intégral de Yves Chartrand de l’édition du 2 octobre 2009 de La Rue Frontenac.