Par Josée Legault
Je reviendrai ultérieurement sur l’analyse du contexte et des stratégies politiques qui sous-tendent l’«entente» à laquelle sont arrivés hier, in extremis, le gouvernement du Québec et quatre associations étudiantes – la FEUQ, la FECQ, la TACEQ et l’ASSE (mieux connue dans l’actualité sous le nom de CLASSE). Cette entente devra être soumise pour vote aux assemblées générales de ces associations. Pour le moment, jetons un coup d’oeil, de plus près, sur le texte de cette entente dire de principe intitulée: «Entente concernant le Conseil provisoire des universités». Vous le trouverez in extenso ici.
Ce coup d’oeil, jetons-le tout, prenant en compte que si les leaders étudiants, de bonne foi, sont persuadés d’avoir obtenu la meilleure entente possible dans les circonstances, il reste que, comme c’est souvent le cas dans ce genre de blitz de négos aussi politique que médiatisé, le diable se retrouve quelque part dans les détails…
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Un conseil provisoire aux pouvoirs déterminants
Cette «entente» vise principalement à préciser les paramètres de la mise en place, «par décret», d’«un Conseil provisoire des universités québécoises afin de notamment faire des recommandations à la ministre de l’Education, du Loisir et du Sport pour la création, par loi, d’un Conseil permanent des universités». Son mandat est de «faire des recommandations à la ministre de l’Education, du Loisir et du Sport d’ici le 31 décembre 2012, relativement au mandat, à la composition d’un conseil permanent des universités, à être crée par loi». Traduction: ce conseil provisoire jouera un rôle extrêmement important, voire déterminant, pour la suite des choses, dans la mesure où il fera des recommandations à la ministre quant au mandat et la composition même d’un éventuel conseil permanent. Or, sur ce conseil provisoire, les représentants étudiants désignés par la FEUQ, la FECQ, la TACEQ et l’ASSE, ne compteront en fait que pour quatre membres sur dix-neuf (incluant la ou le président).
Il y aura donc six recteurs (ou leurs représentants); quatre représentants étudiants; quatre représentants du milieu syndical (CSN, CSQ, FTQ et FQPPU); deux représentants des milieux d’affaires désignés directement par la ministre; un représentant des cégeps (Fédération des cégeps); un représentant du ministère désigné par la ministre; et enfin, une ou un président également désigné par la ministre. Avec quatre membres seulement sur dix-neuf, le risque est que les représentants étudiants peinent à y faire avancer les intérêts de leurs membres. Considérant l’importance du mandat donné au conseil provisoire, ce «détail» n’est pas anodin. Non seulement le Conseil provisoire fera ses recommandations à la ministre quant au mandat et la composition du futur conseil permanent, mais il aura aussi le pouvoir d’«examiner la pertinence d’inclure les sujets suivants à l’intérieur du mandat du Conseil permanent: l’abolition et la création de programmes; l’internationalisation; les partenariats entre les universités et les milieux; la formation continue; la qualité de la formation, la recherche, le soutien; et les instances universitaires». Traduction: «examiner la pertinence» veut aussi dire que le conseil provisoire aura le pouvoir, s’il en juge ainsi, de ne pas reconnaître la «pertinence» d’un ou plus de ces items.
Le conseil provisoire a également comme mandat d’«évaluer, à la lumière des meilleures pratiques, les hypothèses d’utilisation optimale des ressources financières des universités et de démontrer, le cas échéant, les économies récurrentes pouvant être dégagées». Le tout, pour recommandations à la ministre d’ici le 31 décembre 2012. Ici, chaque mot compte.
Ainsi, le conseil provisoire (avec 4 représentants étudiants sur 19 membres) sera à même de juger si des économies récurrentes pourraient être dégagées, ou non, des budgets des universités. Traduction: ce seront les représentants étudiants qui, sans nul doute, auront le fardeau de la preuve lorsque viendra le moment de faire cette «démonstration» – une «démonstration» qui risque fort d’envoyer aux recteurs le même message d’une gestion problématique qu’ils ne veulent pas tout à fait entendre.
Comment cela se passera-t-il vraiment autour de la table du conseil provisoire où les représentants étudiants y seront fortement minoritaires? Bien malin qui pourrait le deviner d’avance… D’autant que les items qui relèveront de cette évaluation faite par le conseil provisoire couvrent des sujets cruciaux et complexes pour l’avenir et l’accessibilité aux études supérieures, lesquels, dans les faits, auraient dû relever d’États généraux larges et indépendants. Or, cette évaluation relèvera dorénavant d’un conseil (provisoire, puis ensuite, permanent), dont le président ou la présidente sera nommé au bon vouloir de la ministre. Et donc, pour tout dire, à celui du premier ministre…
Ces items d’évaluation étant: la délocalisation des campus; les dépenses de publicité; les enjeux à l’égard du parc immobilier; le personnel de gérance; la reddition des comptes; et les transferts entre les fonds. Des items dont certains, dans les faits, comptent pour des sommes magistrales en fonds publics et qui font surtout l’objet d’une forte concurrence entre les universités elles-mêmes…
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Et nous voilà arrivés à la formule qu’a trouvée le gouvernement (entre autre sous conseils, semble-t-il, de sources extérieures) pour ne PAS reculer sur la hausse des frais de scolarité de 82%, ou de 1778$, étalée sur les prochains sept ans.
Dans l’entente, on peut lire ce passage-clé:
«Les recommandations à la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport relativement à l’optimisation des ressources financières prévue à l’article 3, seront utilisées, à l’automne 2012 de la façon suivante: les économies ainsi dégagées seront appliquées en réduction des frais institutionnels obligatoires (FIO), selon des modalités à être convenues entre le gouvernement, les associations étudiantes et la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ). A titre de mesure temporaire pour le trimestre d’automne 2012, le paiement d’une somme de 125$ par étudiant à temps complet, à titre de FIO, sera différé jusqu’à dépôt des recommandations à la ministre de l’Éducation, du loisir et du sport, permettant ainsi de déterminer les montants générés, le cas échéant, par les économies récurrentes et applicables en réduction des FIO».
Traduction: la hausse des frais de scolarité sera appliquée telle quelle en échange de quoi les représentants étudiants devront faire la démonstration d’«économies» pouvant être possiblement dégagées dans la gestion des institutions, lesquelles sommes, le cas échéant, seraient en quelque sorte retournées aux étudiants sous forme d’une diminution de leurs frais afférents – lesquels varient déjà eux-mêmes d’une institution à l’autre. Ouf…
Bref, cela fait vraiment beaucoup de «si». Surtout dans le contexte d’un jeu aussi politique que comptable, dont les résultats sont proprement imprévisibles pour le moment. Cela fait également beaucoup de «si» dans la mesure où le fardeau de la démonstration de ces dites économies reposera dans les faits sur les épaules de représentants qui ne compteront que pour quatre membres sur dix-neuf sur ce conseil provisoire. Pas étonnant que, selon ce que rapporte La Presse, les députés libéraux aient reçu de leur parti un courriel leur rappelant que «le gouvernement maintient intégralement les hausses» (…)Il est faux de prétendre que l’augmentation des frais de scolarité sera obligatoirement compensée par la baisse des frais», y écrit-on aussi». Source ici.
Pas étonnant non plus que le «si» soit autant repris, et avec insistance, par les ministres. Incluant par la ministre de l’Éducation, la présidente du Conseil du trésor et même par le ministre des Ressources naturelles, Clément Gignac: «s‘il peut y avoir des économies dégagées, ces économies seront appliquées à une réduction des frais institutionnels. Il faudra qu’ils identifient des pistes d’optimisation» (…) J’ai lu l’entente de principe, les économies ne sont pas automatiques… On espère que le comité pourra identifier des économies, mais ce n’est pas automatique».
Or, nul autre n’aura été aussi clair sur le caractère aléatoire et imprévisible de tout cet exercice que Line Beauchamp elle-même, la ministre de l’Éducation, qui, en entrevue aux Coulisses du pouvoir, observait que «c’est difficile au moment où on se parle de dire s’il y a des gains qui seront versés aux étudiants. C’est un peu la mécanique que nous avons trouvée. Donc, il peut y avoir des gains pour les étudiants, mais ils ne sont pas garantis. Ils sont encore à chiffrer. Et c’est l’ensemble des partenaires – et les recteurs et les étudiants et les syndicats et les gens d’affaires -, qui vont devoir établir, nous démontrer ces gains-là et les chiffrer.»
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Bref, cette entente de principe fut négociée dans une atmosphère marquée surtout par l’urgence de trouver une «sortie de crise»; où les représentants étudiants se sont retrouvés face à trois ministres, des leaders syndicaux et des représentants de recteurs; et où, enfin, chaque partie, à tort ou à raison, sort persuadée d’avoir tiré le maximum d’une joute de négociation conviée in extremis par un gouvernement dont le but aussi partisan qu’évident était de fermer son conseil général avec une «entente» et la fin annoncée d’un conflit social majeur qui dure déjà depuis plus de trois mois.
Un but qu’il aura atteint. Du moins, en ce qui concerne l’entente de principe.
Et cette entente, elle sera maintenant soumise aux assemblées générales.
À suivre…
Tiré du blogue du Voir.ca