Après plus de 20 mois de procédures judiciaires, les Éditions Écosociété et les auteurs du livre Noir Canada ont appris il y a quelques jours que le procès que leur a intenté la compagnie minière Barrick Gold se tiendrait finalement en septembre 2011.
La porte-parole d’Écosociété, Anne-Marie Voisard, souligne d’ailleurs que la procédure «s’annonce lourde». Quarante jours d’audience, échelonnés sur quatre mois, seront nécessaires pour présenter les centaines de pièces déposées comme preuves, ainsi que pour entendre les différents témoins, témoins-experts et plaidoiries respectives des parties concernées.
«Cela fera bientôt deux ans que ces procédures nous planent au-dessus de la tête, ajoute-t-elle. C’est intimidant et on ne peut pas se consacrer à notre travail, soit de publier des livres.» De plus, fait valoir la petite maison d’édition, «les cinq employés et les auteurs de l’ouvrage ont dû produire un très grand nombre de documents et d’engagements pour la partie adverse, subir 17 journées d’interrogatoires hors cour et évidemment préparer leur défense sous deux juridictions différentes».
Écosociété est en effet également poursuivie par la compagnie minière Banro pour un montant de cinq millions de dollars devant les tribunaux ontariens. Dans ce cas, on attend l’audition de l’appel visant à faire rapatrier la poursuite au Québec. Barrick Gold, la plus grosse société aurifère du globe, réclame pour sa part cinq millions à titre de dommages moraux et compensatoires, de même qu’un million à titre de dommages punitifs. Une telle somme représente 50 fois le chiffre d’affaires annuel de la maison d’édition.
Ces deux poursuites ont été intentées à la suite de la publication du livre Noir Canada, Pillage, corruption et criminalité en Afrique, qui fait état de nombreux abus qu’auraient commis des sociétés minières canadiennes en Afrique. Écosociété estime qu’il s’agit en fait d’un «essai critique qui rend compte de questions d’intérêt public».
Certains juristes, dont le professeur Pierre Noreau du Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal et coauteur du rapport MacDonald sur les poursuites-bâillons, n’hésitent pas à qualifier publiquement ces procédures de poursuites-bâillons, ou SLAPP.
L’Assemblée nationale a d’ailleurs adopté en juin 2009 une loi qui vise à «prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics». Le cas d’Écosociété pourrait constituer un test pour la nouvelle législation, mais Mme Voisard doute qu’elle puisse s’appliquer dans cette cause. «On n’est pas convaincus que cette loi peut nous protéger. On est inquiets.»
L’assureur d’Écosociété a par ailleurs récemment reconnu son obligation à défendre la maison d’édition dans le cadre de l’action en responsabilité civile intentée par Barrick Gold. Les auteurs de Noir Canada, par contre, ne bénéficient d’aucune couverture d’assurance, et continuent d’assumer seuls leur défense grâce aux dons versés au fonds de défense lancé par la maison d’édition.
Consultez l’article intégral de Alexandre Shields de l’édition du 1er mars 2010 du Devoir.