Nouveau soubresaut dans le débat sur le dégel des droits de scolarité au Québec. Les universités crient famine, le gouvernement Charest est aux prises avec un déficit record et les transferts fédéraux demeurent un mirage. Alors que faire?
D’éminents économistes, entourés d’un petit groupe de convaincus, proposent d’appliquer tout bonnement la politique de l’utilisateur-payeur aux étudiants universitaires sans se soucier de mesurer les capacités financières de ces utilisateurs et les impacts sur leur cursus universitaire.
À notre avis, toute hausse aura comme effet pervers de faire croître le temps dévolu au travail rémunéré au détriment de celui qui doit être consacré aux études: les étudiants travailleront davantage, ils mettront plus de temps à terminer leur scolarité, quand ils n’abandonneront pas carrément leur formation. La résultante souvent occultée pour la société québécoise: des coûts supplémentaires excessifs pour les formations universitaires. Ces économistes ont-ils évalué ces coûts cachés?
Mais une autre question, celle-là complètement évacuée du débat, mérite notre attention. Qu’en pensent les jeunes qui fréquentent actuellement le secondaire et qui seront demain les étudiants inscrits dans les programmes universitaires? Quel impact l’annonce d’une hausse significative des droits de scolarité a-t-elle sur leur projection dans l’avenir? […]
Une enquête
Nous avons mené très récemment une enquête par voie électronique auprès d’une centaine d’élèves du secondaire (4e secondaire en majorité) qui ont interagi avec les différents volets du projet SEUR (Sensibilisation aux études universitaires et à la recherche; www.seur.umontreal.
qc.ca). Ce projet de l’Université de Montréal vise à favoriser la persévérance scolaire et l’intérêt pour les sciences et les technologies chez ces élèves en les invitant à participer à des stages, des parrainages, des séjours d’immersion sur le campus et des visites en entreprises.
Rappelons au départ que ces jeunes, après avoir participé aux activités offertes par le projet SEUR, indiquent dans une proportion de plus de 95 % qu’ils envisagent de fréquenter l’université et que leur choix de carrière est mieux défini.
Interrogés récemment sur leur intention de fréquenter l’université si des hausses significatives des droits de scolarité étaient mises en application, ils sont nombreux à hésiter: en fait, de plus de 95 % qu’ils étaient au départ, ils ne sont plus que 48 % à considérer l’université comme l’option d’avenir. L’impact négatif d’une hausse des droits de scolarité chez ces jeunes est palpable, il y a là un signal qui nous invite à réfléchir. Un constat s’impose: le financement des universités ne peut trouver sa solution dans l’aggravation d’un problème de taille pour la société québécoise, la persévérance scolaire.
Des idées de financement
Il n’y a pas de solution miracle à l’amélioration de la situation financière de nos institutions universitaires. Plusieurs stratégies pourraient être mises en avant.
D’abord, il est impératif de procéder à un examen critique de l’utilisation des fonds publics par les administrations universitaires. Il suffit de rappeler les récents scandales liés aux rémunérations excessives de certaines directions d’universités, les projets immobiliers irréalistes qui ont toujours cours, notamment à l’Université de Montréal, l’essaimage de campus régionaux qui amène les institutions à se phagocyter les unes les autres.
Deuxièmement, pourquoi ne pas déplacer le problème du financement de l’entrée à l’université vers la sortie, en mettant à contribution les employeurs de diplômés universitaires (remboursement de l’équivalent des droits de scolarité du diplômé avec un allégement fiscal selon les disciplines et les besoins de main-d’oeuvre). Des expériences-pilotes pourraient être menées dans quelques institutions avant d’élargir une telle politique à l’ensemble des universités du Québec.
Troisièmement, le gouvernement du Québec pourrait s’inspirer du «Grand Emprunt» que le gouvernement français veut contracter (35 milliards d’euros dont la moitié sera consacrée aux universités et à la recherche) et appuyer un plan d’emprunts pour les universités québécoises.
Enfin, il faut avant toute chose mesurer les impacts de toute hausse des droits de scolarité sur la volonté et l’intérêt des jeunes à fréquenter l’université. C’est là une question que nous ne pouvons nous payer le luxe d’ignorer.
Louis Dumont – Professeur de pharmacologie à l’Université de Montréal, directeur du projet SEUR et président du Syndicat général des professeurs de l’UdeM
Consultez l’article intégral paru dans l’édition du 9 mars 2010 du Devoir.